Ce dimanche 25 octobre à Martignas, à l’initiative de l’association des familles des fusillés de Souge, une commémoration rassemblera les autorités civiles et militaires, aux côtés des associations, syndicats, partis qui œuvrent à la diffusion de la mémoire.
Samedi dernier, c’était au monument de la SNCASO, sur le site de l’ex-Sogerma de Merignac, qu’était rendu hommage à 78 martyrs de l’aéronautique bordelaise (SNCASO et AIA).
Catherine Bouchard-Portalier, au nom de l’association de mémoire, a livré la belle et triste histoire d’une des victimes, du nom de Pierre, de Bacalan . La voici:
» Devoir de mémoire…
Ne serait-ce pas rendre inoubliable cette blessure de l’humanité, la rendre présente en chacun comme un souvenir réellement ressenti ?
En cet instant prenons une grande liberté de mémoire, à savoir nous faire les témoins
par l’imagination de la jeune et courte existence d’adulte d’un
de ces garçons, arrêtés comme otages ou pris pour résistance active.
Appelons le Pierre pour ne pas avoir à en distinguer un en particulier.
Il sera emblématique de tous les autres.
En effet beaucoup n’ont pas de plaques dans les rues de l’agglomération
un peu en somme nos martyrs presque inconnus.
Salarié de l’usine de Bacalan, communiste mais d’autres étaient gaullistes ou socialistes, Pierre a 33 ans lors de son exécution le 21 septembre 42.
Que fait-il ce jeune homme durant la décade qui s’achève par la déclaration de guerre?
Comment est l’air du temps ?
De l’époque du Front Populaire de 36 on aime à présenter des films d’actualité montrant les Français batifolant sur leurs plages grâce aux premiers congés payés. Il ne faut pas s’y tromper, si la France n’est pas morose comme aujourd’hui, elle n’est pas du tout sereine, c’est une France balayée de crises successives, agitée de mouvements violents
et antagonistes, l’effondrement boursier américain est responsable de la situation de milliers de chômeurs et les réorganisations sont difficiles à mettre en place, par ailleurs Hitler poursuit son ascension et Franco attaque la république espagnole.
Pierre donc, travaille à l’usine aéronautique de Bacalan. Il habite avec ses parents qui sont eux-mêmes ouvriers ou artisans. A l’instar de ses parents ou peut-être pas, il a choisi la proposition d’engagement comme une proposition de désir et d’espoir. Il a à l’atelier beaucoup de compagnons qui partagent ses idéaux, et il fait souvent la grève pour faire aboutir les revendications d’avant et après 36. Imaginons qu’il est plutôt fier de travailler dans un secteur d’industrie moderne. Après tout l’époque glorieuse de l’Aéropostale sur l’Atlantique Sud n’est pas bien éloignée.
Si dès 34 la France perd son avance en matière aéronautique, la production mal adaptée à de nouveaux besoins s’effectue toutefois à un rythme soutenu. S’il travaille dur et assiste à de nombreuses réunions, le jeune homme a probablement quelques loisirs, peut-être lui arrive t’il de se baigner dans le bassin d’alimentation de Bacalan?, peut-être danse-il la java musette au bal de quartier ?
Peut-être a t’il fréquenté jusqu’en 1936 les arènes du Bouscat?
Peut-être aussi étudie-t’il le soir pour progresser dans un secteur plein d’avenir ?
Les événements s’accélèrent soudain, la guerre est déclarée et les Allemands rentrés dans Bordeaux s’emparent des usines dès le mois d’août 40
et entendent faire travailler le personnel à leurs avions Focke Wulf.
Les actions de résistance s’organisent progressivement, on freine la cadence, on distribue des tracts, des journaux, on collecte des armes, on recrute pour élargir le cercle des combattants pour lutter contre l’envahisseur nazi.
Mais il faut compter avec Le commissaire Poinsot
dont l’acharnement à traquer la résistance s’exerce jusqu’à l’obsession.
Qui aura vu les objets de répression au Musée Jean Moulin (car ils sont désignés ainsi) aura compris que l’occupation allemande rime avec la terreur,
la longue liste des relevés d’interrogatoire et des avis d’exécution est édifiante.
148 communistes sont arrêtés dès novembre 40, des gaullistes de l’Aia également et en juillet/août 42 Poinsot remonte une filière et démantèle tout le groupe des usines de l’aéro parti prenante des FTP Girondins.
Pierre était l’un deux.
On peut être tenté de penser :
Mais que faisait-il donc dans cette galère?
Ne pouvait-il courber le dos et attendre que cela passât?
Non il ne le pouvait pas, il savait pourtant que le danger était énorme, les 1ères arrestations dont il avait été témoin en 40 et 41 avaient conduit plusieurs de ses collègues à la fusillade sur le camp de Souge.
Notre jeune homme croyait possible qu’un peuple refuse son destin et il continue à être actif dans le réseau avant d’être à son tour arrêté en 42 et fusillé le 21 septembre de la même année avec 69 autres otages.
Enfin alors que la débâcle est effective en août 1944, d’autres salariés de la SNCASO sont fusillés à St Astier, d’autres encore déportés.
Deux heures avant d’être fusillé, il sera permis à Pierre d’adresser une lettre à sa famille. Il écrira un ultime message d’amour
et réaffirmera son engagement. »
Chantal Bouchard Portalier